Pour rester dans l'énergie de l'Amour...
Le Mejnoun ou le Fou d’amour
(par Georges Colleuil)
Majnoun, perdu dans le désert, vit arriver Leila sur un chameau. Fou d'amour il se précipita vers elle et... embrassa le chameau. Ses amis lui dirent : " Que fais-tu ? Ta bien-aimée est sur le chameau !" Et lui de répondre :" Maintenant pour moi tout est devenu Leila."
Qui se souvient encore de l’histoire de Majnoun et Leila ? La plus belle histoire d’amour jamais vécue… Belle et tragique à la fois comme toutes les grandes histoires d’amour. Cette histoire est devenue l'un des thèmes familier de la poésie mystique persane et turque, et l’archétype de l’impossibilité de l’amour parfait.
Cet épisode du chameau résume l’ultime niveau de l’amour. Lorsque la totalité de l’univers s’inscrit à l’intérieur d’un grain de sable. Ici Tout est dans Tout, et dans chaque goutte d’eau est contenu l’océan. On est loin du « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » de Lamartine.
Le Tarot de Marrakech créé par Georges Colleuil et Jean-Baptiste Valadié raconte plus qu’une histoire d’amour ; L’histoire de l’Amour. Chaque Arcane, du Saltimbanque à la Fleur de Vie développe les étapes qui conduisent l’homme à la conquête de son humanité. C’est probablement ce processus d’union avec soi même qui fonde l’union de l’un avec l’autre.
Chaque Arcane illustre ce cheminement qui consiste à sortir d’un amour de soi narcissique (Le Saltimbanque) traverser l’inconnu (Le Voile de l’Aube) et, le moment venu, quitter la mère pour rencontre l’Autre (le Bien Aimé).
Tous ces Arcanes symbolisent l’Amour. Et d’autres encore ! Le Marabout, amour de la connaissance ; Le Victorieux ou les Djinns amour du pouvoir, La croix du Sud, amour universel, etc. Mais si l’Amour est avant tout Sagesse, l’Arcane majeur qui illustre le mieux l’Amour dans le Tarot de Marrakech demeure le « Mejnoun » ! Le Fou d’amour !
Pourquoi le fou d’amour est-il un authentique sage ? Parce qu’il a dépassé le besoin d’être aimé. Il ne souffre pas du sentiment d’insécurité propre aux hommes en général. Cela ne l’empêche pas d’avoir d’immenses chagrins lorsque l’être qu’il aime ne l’aime plus, mais son chagrin n’est pas une plainte, il se transforme en un chant universel, que les hommes se transmettent ensuite de générations en générations… Le chagrin n’est pas le désespoir. Le fou d’amour ne connait pas le désespoir car il est fou d’amour pour l’amour, il aime l’amour et l’amour jamais ne l’abandonne.
Le Mejnoun du Tarot de Marrakech a droit au chagrin mais il est libéré du besoin d’être aimé, et encore plus du besoin d’être préféré. Il souffre pourtant d’insécurité. Les hommes ne lui font pas de place au sein de leur communauté. Lorsqu’il n’est pas carrément rejeté ou enfermé, on se moque de lui… comme d’un handicapé. Le Mejnoun, comme d’ailleurs le Mat du Tarot de Marseille, n’est inscrit dans aucun parti, n’appartient à aucune association ou confrérie, il ne cotise à aucune caisse, si ce n’est à la caisse d’insécurité sociale… Le Mat et le Mejnoun se ressemblent sur certains points mais sont aussi très différents sur d’autres points. A eux deux ils ratissent large. Le Mat est rebelle à la société, c’est un contrebandier, un malfrat, un sdf, un hors la loi, un voyou, un insoumis. Il est insaisissable, inclassable, incassable. Le Mejnoun est tout entier tourné vers l’univers et vers l’amour.
Son regard est illuminé. Certains diraient allumé ! Le sourire qu’il affiche est très différent de celui du Mat. Le sourire du Mat est cynique, ironique, j’menfoutiste, provocateur, moqueur comme le chant du merle... Le sourire du Mejnoun est réjoui, comblé, ravi. Ravi comme si on l’avait ravi des territoires de la médiocrité et qu’un Djinn bienveillant, s’étant emparé de son âme, l’avait conduite vers les terres radieuses du Promis ! Le Mejnoun est endjinné nous dit l’étymologie. C'est-à-dire frappé, possédé par les Djinns.
Toute la pensée occidentale prône le triomphe de la raison sur la folie. La folie d’amour n’échappe pas à cette règle. La passion se ramène à la passivité comme le rappelle l’étymologie de ce mot (en latin patio = passif). Les passionnés, les fous d’amour n’ont pas leur place dans des sociétés où la valeur essentielle demeure la stabilité émotionnelle.
Dans 1984 de George Orwell, deux crimes sont passibles de la peine de mort dans d’atroces tortures : « penser par soi même » et « tomber amoureux ». Dans la société occidentale ces deux notions sont antagonistes. Si tu tombes amoureux tu ne peux plus penser par toi-même ! A l’inverse, en Orient, la folie d’amour est une clé d’accès à l’unité divine, à l’expérience cosmique. Le fou d’amour est plus proche de Dieu que n’importe qui.